Felix Timmermans
Uit België, la Belgique - 1830-1930
Il débuta avant la guerre avec un recueil de Begijnhofsprookjes écrit en collaboration avec A. Thiry. Ces nouvelles sont conçues dans cet esprit spécifiquement flamand que j'ai signalé à propos de Maurits Sabbe et qui constitue aussi bien un des éléments formant le génie si varié du grand écrivain.
Son collaborateur du début, Anton Thiry, se spécialisa même plus tard dans ce genre et y acquit une enviable réputation. Timmermans, sans abandonner entièrement ce genre intime et un peu folklorique dans lequel il a donné encore des spécimens remarquables, entre autres De zeer schoone Uren van Juffrouw Symforosa, Begijntje (Les très belles heures de Mlle Symphorosa, béguine), une perle dans son espèce, s' est orienté vers d'autres issues. Il a montré au monde un type de Flamand, figure exubérante et formidable, espèce de satyre chrétien, Gargantua paysan travesti en Uylenspiegel bon garçon, roi fainéant et épicurien dont le royaume est la nature éternellement changeante et qui a pour trône une meule de foin, pour palais une roulotte et pour majordome un peintre paysagiste, un ogre ahurissant, qui mange et qui boit pour vingt, qui pisse son nom dans la neige et qui procrée tout naturellement trois gosses à la fois. Qui ne connaît Pallieter? Il a voyagé par l'Europe entière et certains pays lui ont réservé un accueil enthousiaste.
L'œuvre parut en 1914 dans la revue hollandaise De Nieuwe Gids et passa presque inaperçue. La guerre éclata et ce fut, les premiers mois, un bouleversement spirituel général. On aurait dit que jamais culture n'avait existé; toute attention pour les choses de l'esprit était comme vaporisée dans le tourbillon de feu et d'horreur qui avait envahi l'humanité. Soit dit en passant, cette sanglante épreuve n'a inspiré jusqu'ici à aucun écrivain flamand une œuvre de quelque importance. Plusieurs ont publié des mémoires, des souvenirs, des impressions ; d'aucuns des nouvelles et des esquisses traitant de la guerre et de la vie du soldat en campagne, mais déjà ce travail est médiocre. En général, aucun recueil lyrique n'a paru en Flandre comparable aux Naked Warriors de Rupert Brooke, ni à la poésie humanitariste des poètes de l'Abbaye en France ou du groupe allemand similaire. L'humanitarisme, en Flandre, ne procéderait pas directement de la guerre, mais de l'activisme, la crise aiguë que le mouvement flamand a traversée pendant l'occupation ennemie. Entre-temps, lorsque l'épouvante des premiers mois se fut un peu calmée et que la longue durée de la guerre eut quelque peu anesthésié les esprits, surtout en pays occupé, par son énervante monotonie, quand, en outre, la disette se fit sentir partout, c'est le prodigieux Pallieter qui, pendant tout un temps, a détourné une masse de gens, d'abord en cette Hollande neutre mais économiquement presqu'aussi éprouvée que les belligérants, puis en Flandre même, de l'effroyable réalité de la catastrophe mondiale. Pallieter en effet, avait été en 1916 publié à Amsterdam sous forme de livre, et, s'il avait à peine été remarqué lors de son passage au Nieuwe Gids, cette fois-ci ce fut un triomphe. Ce livre, en tout état de cause un chef-d'œuvre, constitue un hymne formidable à la vie ; son auteur l'avait créé lui-même après s'être remis d'une maladie dangereuse, subséquente à une longue crise pessimiste.
Pallieter était la prodigieuse incarnation de tous les instincts comme magiquement assouvis, de tous les désirs immédiatement atteints, de toutes les aspirations réalisées comme par enchantement. Le livre tombait au milieu d'une société humaine qui manquait de tout, où le pain était devenu un affreux amalgame de châtaignes et de glands, où la viande et les pommes de terre coûtaient leur poids d'or, où les choux-raves constituaient un luxe. On comprend à quel point les hommes furent éblouis et fascinés par ce tableau d'une existence qui jadis avait été la leur, certaines distances gardées, bien entendu, et qui était déjà presque devenue un mythe.
Le succès n'en était pas moins mérite. En Pallieter, Timmermans se révèle un écrivain de race. Sa prose est puissante et souple, pleine, imagée et continuellement elle frappe le lecteur par des inattendus surprenants. Sa vision du monde est unique, à la fois naïve et brutale, puérile et pénétrante; sa sensation de la vie se manifeste en une sensualité luxuriante et en une grande et candide simplicité. Tout chez Timmermans semble fait d'une pièce; chez lui ni raffinement ni complications ; il évite les transitions adoucissantes et les nuances dialectiques qui arrondissent les angles. Sans ambages il passe d'une impression à une autre, procède par violents contrastes, par coq-à-l'âne ahurissants, par métaphores de plus en plus audacieuses. Son coloris verbal est incomparablement éclatant et fougueux, tout y vibre et tressaille et flamboie, tel un immense champ de coquelicots infiniment baigné d'une lumière éblouissante. Tout y est net et cru, gras et chaud. Souvent on désirerait un peu plus d'ombre, un peu moins de couleurs criardes, un peu de mystère et un peu de douleur... Mais il faut prendre Pallieter tel qu'il est : une création incontestablement originale, pleine de sève et de santé ; une figure toute imprégnée des émanations du sol flamand natal, large, épanouie, radieuse, pour qui tous les jours sont des dimanches et tous les dimanches des kermesses; un formidable épicurien qui se gave de toutes les joies des sens, mais que toutes les voluptés n'empêchent pas d'être pieux, d'une piété que toutefois quinze siècles de christianisme ne sont pas parvenus à purifier des lourds relents du paganisme primitif : toute la Flandre en un mot, sensuelle et mystique, grasse et fertile, mi-sauvage mais splendidement créatrice. Et c'est ainsi que Timmermans a conçu son Pallieter, se moquant de toutes les règles, indifférent aux lois de la composition et bravant toutes les conventions littéraires.
Timmermans, travailleur infatigable, a publié depuis son Pallieter une longue série d'œuvres nouvelles, d'importance et de valeur d'ailleurs inégale. Het Kindeke Jezus in Vlaanderen, l'antipode mystique de l'exubérant Pallieter, œuvre candide et parfois touchante, brillamment écrite et qui n'est inférieure à la précédente que par le fait qu'elle est d'une conception moins originale. J'aime moins le roman Anne Marie. Mais de premier ordre par contre sont Les très belles heures de Mlle Svmphorosa, déjà citées, ainsi qu'un recueil de nouvelles : Het Keersken in de Lanteern (La Chandelle dans la Lanterne) qui contient quelques pièces de la plus haute tenue, entre autres une évocation réellement dionysiaque de la campagne flamande. Charmant et naïf est le Driekoningentriptiek d'où il a tiré une pièce de théâtre dont le succès n'a pas encore faibli : En waar de Sterre bleef stille staan. Citons encore De Pastoor in den bloeienden Wijngaard, et enfin son Pieter Breughel, œuvre annoncée à grande force de réclame et attendue avec impatience, mais extrêmement inégale et frisant, par-ci, par-là, le burlesque. Il travaille actuellement à une vie de Saint François d'Assise.
********
|