Félix Timmermans et la francophoniexml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />
Door Joris Gerits (Tr. Chr. Marcipont)
Félix Timmermans (1886-1947) était le treizième enfant d'un marchand de dentelle établi à Lier, au sud-est d'Anvers. Son père caressait l'espoir que ce fils, qui, après sa sixième année d'école moyenne, avait cessé de suivre les cours afin de se rendre utile au magasin, épouserait une brave fille, ayant fréquenté un bon pensionnat, et qui connaîtrait aussi bien son français que son flamand. Félix Timmermans montrait de sérieuses dispositions pour le dessin et il devait d'ailleurs illustrer ses propres uvres littéraires. Son premier livre de lecture, qu'il emprunta à la bibliothèque communale, fut Le chemin de France de Jules Verne, emblème parmi d'autres du nationalisme français à la fin du xixe siècle. Dans sa récente biographie de Félix Timmermans, Gaston Durnez fait remarquer à ce propos qu'il a grandi dans un monde où la culture germanique s'affrontait au génie latin (p. 33).
Aux alentours de ses dix-huit ans, Timmermans se lia d'amitié avec Raymond de la Haye, de peu son aîné, peintre symboliste de talent, d'origine francophone et connaisseur de la littérature française moderne (Verlaine, Rimbaud). De la Haye, végétarien et théosophe, était un familier des écrits de Sâr Mérodack Péladan. Timmermans allait à son tour se plonger dans les écrits occultes et cabalistiques, prendre part à des séances de spiritisme et devenir un lecteur de J.K. Huysmans. C'est dans ce contexte que virent le jour Holdijn, une pièce de théâtre jamais représentée, inspirée de Pelléas et Mélisande et de La Princesse Maleine de Maurice Maeterlinck, et Schemeringen van de dood (Crépuscules de la mort), un recueil de cinq récits, qui marqua les débuts de prosateur de Timmermans en 1911.
Timmermans avait découvert l'uvre de Maeterlinck sur les conseils d'un de ses voisins, Victor Remouchamps, professeur à l'athénée de Lier, lui-même auteur de poèmes en prose écrits en français (Les Aspirations, 1893) et membre des milieux progressistes bruxellois proches de la revue La Jeune Belgique. Remouchamps fit également connaître à Timmermans l'uvre d'autres écrivains flamands d'expression française, tels que Camille Lemonnier, qui écrivit Le vent dans les moulins (1901), Georges Eeckhoud et Eugène Demolder. Ce dernier est l'auteur de La route d'Émeraude (1899), uvre qu'à l'époque un critique rapprocha du Pallieter (Joyeux drille, 1916) de Timmermans, car on trouvait dans les deux romans un esprit et une dimension populaire comparables. Dans l'uvre de ces Belges francophones, la Flandre se voit représentée comme une Flandre révolue, mythique, riche d'un passé médiéval prestigieux: le pays des mystiques, des légendes et des contes. Écrire en français leur permettait de se distancier de cette Flandre idéalisée. On retrouve également chez l'activiste flamingant Félix Timmermans, cette représentation, aujourd'hui stéréotypée, d'un peuple flamand réussissant à conjuguer ces antagonismes que représentent une prédisposition pour le mysticisme et un tempérament porté à la sensualité. Pallieter en est le parfait exemple. Le succès de ce roman fut tel qu'à sa mort, Timmermans était l'auteur flamand le plus lu et le plus traduit. En 1926, son nom figurait même sur la liste des candidats au prix Nobel. Une traduction française de Pallieter parut en 1923, due à Bob Claessen, qui faisait partie de l'avant-garde artistique anversoise représentée par le groupe Lumière. Timmermans avait fait paraître en 1922, aux Éditions Lumière, un ensemble de linogravures représentant des scènes populaires telles que saint Nicolas et les rois mages, sous le double titre Jours pieux-Vrome dagen. Il souscrivit un abonnement à la revue d'avant-garde Het overzicht (Le panorama), à laquelle collaborait entres autres Michel Seuphor. A peu près à la même époque, Timmermans découvrit l'uvre dramatique de Henri Ghéon, dont il traduisit Notre-Dame dans les épines. Henri Ghéon, de son côté, devait assurer la création à Paris de Et où l'étoile s'arrêta, adaptation pour le théâtre du Driekoningentryptiek (1923) de Timmermans, adaptation qui connut un succès retentissant. Félix Timmermans avait fait le déplacement à Paris pour assister à la première, le 15 mars 1927. Le 22 juin de la même année, la compagnie du Vlaams Volkstoneel (Théâtre populaire flamand) représentait la pièce en néerlandais (!) au Théâtre des Champs-Élysées.
Betty Colin traduisit en 1923 De zeer schone uren van Juffrouw Symforosa, begijntje (Les très belles heures de Mlle Symforosa, béguine). Dans une postface, Paul Colin souligne que Timmermans est le plus classique des romanciers flamands contemporains. En 1943, Betty Colin dirigea également l'édition de Psaume paysan (Boerenpsalm), avec pour protagoniste un certain Racine (Wortel). L'Enfant Jésus en Flandre (Het kindeke Jezus in Vlaanderen) parut aux Éditions Rieder, à Paris, en 1925, dans une traduction de Neel Doff.
Les années 20 furent caractérisées par un évident renouveau catholique et une authentique vague de conversions (Chesterton en Angleterre, Huysmans, Ghéon, Claudel, pour ne citer qu'eux, en France). Le prêtre flamand Camille Melloy, qui écrivait en français, consacra à ce phénomène son ouvrage Le beau réveil (1922). Melloy, auteur par ailleurs de vers non dépourvus de charme, composés dans l'esprit de Francis Jammes et de Paul Verlaine, se prit d'amitié pour Timmermans et traduisit son Triptyque de Noël (Driekoningentryptiek), publié en 1931, ainsi que La Harpe de saint François (De harp van Sint-Franciscus), qui parut en 1934 à Paris dans la série Ars et fides, par l'entremise de Henri Ghéon et de Jacques Maritain.
En 1934, le flamingant Timmermans fut un des cofondateurs et présidents des Scriptores Catholici, une union belge de gens de lettres catholiques appelée de ses vux par le cardinal Van Roey et dominée par la crème des catholiques et des unitaristes belges, ce qui ne manqua pas d'estomaquer certains flamingants radicaux, écrit G. Durnez dans sa biographie, évoquée ci-dessus (p. 538). Dans son roman en trois parties De Familie Hernat (La Famille Hernat, 1941), le personnage principal tire tous les registres du flamingantisme avec ce résumé de la situation prévalant depuis 1830: La Wallonie était le Maître, la Flandre le valet, encore qu'en fait c'est celle-ci qui aurait dû être le Maître, au regard de son passé grandiose, de ses superbes réalisations, plus nobles par leur esprit et leur culture, mais appauvries à l'extérieur autant qu' émoussées à l'intérieur par les oppressions étrangères. (cité par G. Durnez, p. 654).
Cependant, un oppresseur étranger était à nouveau apparu. Félix Timmermans et Ernest Claes jouissant d'une grande popularité en Allemagne dès avant l'avènement des nazis, ils étaient tout naturellement présents le 23 octobre 1941 à Weimar, à l'occasion d'une journée de rencontre entre écrivains allemands et étrangers. En 1942, Timmermans accepta de se voir décerner le prix Rembrandt de la Fondation Hansa de l'université de Hambourg. Il voyait dans cette attribution une distinction culturelle à laquelle sa notoriété et sa renommée ne lui permettaient point de renoncer sans s'exposer lui-même à un certain danger. Point de vue qui ne fut pas sans conséquence politique. Un dossier de collaboration fut constitué à son encontre. Bien qu'aucune poursuite fût engagée contre lui, les dernières années de l'auteur furent fortement assombries. Le 28 janvier 1947, le jour de ses funérailles, la radio belge le décrivait comme l'écrivain régionaliste par excellence, le créateur d'une vision de l'existence typiquement flamande qui, par l'attrait qu'elle avait engendré, avait réussi à se gagner les faveurs du public européen.
Sources:
josé de ceulaer, Kroniek van Felix Timmermans 1886-1947 (Chronique de Felix Timmermans 1886-1947), Orion - Desclée De Brouwer, Bruges, 1972
gaston durnez, Felix Timmermans. Een biografie, Lannoo, Tielt, 2000 .
marc somers, Van Boudewijn tot Brueghel. Timmermans in de jaren twintigl (De Baudouin à Brueghel: Timmermans dans les années 20), in karel wauters (réd), Verhalen voor Vlaanderen (Récits pour la Flandre), Pelckmans, Kapellen, 1997, pp. 219-232 .
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